*Felicity Lott : “J’ai besoin qu’on m’aime”*
Deux reprises, des tournées, un DVD, le prix de la critique : La Belle Hélène par le tandem Minkowski/Pelly fut l’un des plus grands et des plus durables succès du Châtelet. De quoi donner envie de reconduire l’équipe gagnante dans un autre Offenbach : ce sera La Grande Duchesse de Gérolstein. Mais à une condition : que la vedette en soit à nouveau Dame Felicity Lott, la plus française des chanteuses britanniques, dont la classe et le naturel s’imposent de l’opérette viennoise à l’opéra-bouffe français, en passant par la nostalgie du Chevalier à la rose ou le désespoir de La Voix humaine. Nous avons rencontré cette femme délicieuse début septembre, juste avant que le spectacle n’inaugure la nouvelle salle de Grenoble, “rodage” précédant les représentations parisiennes.
Propos recueillis par Christian Merlin
[05 octobre 2004]
LE FIGARO. – En pleines répétitions de La Grande Duchesse, comment vous sentez-vous ?
Felicity LOTT. – Je me sens nulle, comme d’habitude. Mais ce n’est pas nouveau, j’avais déjà eu la meme impression au début du travail sur La Belle Hélène. J’ai tellement de texte à dire en français, je dois chanter et jouer en meme temps : on ne peut se permettre une seconde d’inattention. Je regarde François Le Roux, Yann Beuron, Sandrine Piau, je les trouve formidables et je me dis : je n’y arriverai jamais, qu’est-ce que je fais là ? Je dois etre pénible pour les autres, avec mes complexes. Ils ont certainement suffisamment de problèmes pour ne pas avoir en plus à subir les miens !
Vous semblez pourtant si à l’aise en scène ! Qu’est-ce qui vous permet de surmonter votre manque de confiance en vous ?
La confiance des autres. J’aimerais etre plus forte et me porter toute seule, mais c’est ainsi : j’ai besoin d’etre soutenue par les autres. La clé, c’est le travail d’équipe : je suis incapable de considérer mon métier comme une activité individualiste. C’est pourquoi, par exemple, j’aime beaucoup donner des récitals à deux, que ce soit avec ma complice Ann Murray ou avec Angelika Kirchschlager, dont j’aime tant le naturel et la spontanéité. Ici, pour un spectacle comme La Grande Duchesse, on est porté par l’équipe Minkowski/Pelly, qui est comme une famille.
Qu’est-ce qui vous lie à eux ?
D’abord le fait que nous adorons la musique d’Offenbach et voulons la servir le mieux possible. J’aime beaucoup Laurent Pelly parce qu’il me fait confiance et trouve toujours des solutions qui me sont adaptées. Et puis il n’hésite pas à aller contre la musique, ce qui crée une tension plus intéressante que si la mise en scène dit exactement la meme chose que la partition. Quant à Marc, il essaie de nettoyer les partitions, afin qu’on les entende comme si c’était la première fois. Il s’intéresse à la couleur des mots, et meme au non-dit, au “sous-texte”. Ses tempi sont certes souvent très rapides, et il n’est pas facile à suivre, mais cela aussi crée une tension positive : on doit toujours etre aux aguets, et les finales d’actes sont si excitants !
Je suppose que c’est le succès immense de La Belle Hélène qui vous a encouragée à aborder un nouveau role offenbachien ?
Si je me souviens bien, c’est à la fin de la première série de Belle Hélène, sachant que je ne pourrais assurer la première reprise, que Jean-Pierre Brossmann a évoqué l’idée d’un autre ouvrage. La Grande Duchesse est vraiment très différente : impossible de faire une copie du spectacle précédent. Elle est à la fois plus drole et moins drole. On y ridiculise la guerre et la corruption du pouvoir, ce qui me plaît bien. La fin est plus cruelle et mon personnage n’est pas très sympathique, ce qui me plaît moins : j’ai besoin qu’on m’aime !
Qu’est-ce qui vous attire dans Offenbach ?
C’est d’abord, au stade actuel de ma carrière, de faire quelque chose de tout à fait différent, après toutes ces Maréchales… Attention, j’adore Richard Strauss, d’ailleurs sans lui j’aurais été au chomage ! Mais cela devient plus dur, plus pénible de dire à Octavian d’aller chercher ailleurs. Et puis quand je me regarde dans le miroir à la fin du premier acte du Chevalier à la rose, ce que je vois n’est pas très beau… Quant aux Quatre Derniers Lieder, je les ai beaucoup chantés, mais quand on ne rajeunit pas, ces immenses phrases chantées dans la meme respiration ne vont pas de soi ! Sans parler de ces chefs qui vous noient sous un flot orchestral contre lequel on ne peut pas lutter.
Tous les chefs ?
Oh non ! Quand je chantais Le Chevalier à la rose avec Carlos Kleiber, que ce soit à New York, Vienne ou Tokyo, jamais je n’ai été couverte par l’orchestre ! Je lui ai dit que j’aimerais bien chanter Les Quatre Derniers Lieder avec lui, mais il m’a répondu qu’ils étaient de toute façon inchantables. Quel homme merveilleux ! On était réellement hypnotisé quand il était au pupitre. Et en meme temps si drole et si gentil. J’ai souvent écrit à des chefs pour leur dire que j’avais aimé travailler avec eux : il est le seul à avoir répondu. Je dois avoir une trentaine de lettres et de cartes postales de lui. Je n’en recevrai plus. J’aime aussi beaucoup Armin Jordan : il est tellement sensible et musicien, et drole lui aussi ! Il a préféré renoncer à une carrière plus prestigieuse car il préfère etre entouré de ceux qu’il aime et qui l’aiment : je suis pareille. Et puis j’adore Bernard Haitink, avec qui j’ai fait mes débuts à Glyndebourne il y a 27 ans. C’est la seule audition que j’aie jamais passée, et elle a marché. Je pense qu’il s’en est vite débarrassé car il détestait les auditions, tout comme moi. J’ai réussi le contre-ut d’Ann Trulove dans le Rake’s Progress de Stravinsky et ça a suffi. Pourtant, ce n’était pas “joli joli”. Ce n’est jamais joli joli, d’ailleurs.
Vous chantez certains roles, y compris dans Offenbach, dans lesquels on est habitué à entendre des voix plus lourdes. Est-ce un problème?
C’en est un si j’essaie de gonfler ma voix, de forcer le volume dans le médium. Quand j’ai travaillé la Maréchale, je suis allée consulter Georg Solti, qui était si gentil. Il m’a dit quelque chose de très simple : “N’essaie pas de faire comme les autres, chante-le avec ta voix. Tu envies les autres sopranes pour des qualités que tu n’as pas, mais dis-toi que beaucoup de sopranes aimeraient chanter comme tu le fais toi.” Cela donne confiance. Tout comme quand j’ai rencontré Denise Duval, la créatrice de La Voix humaine de Poulenc, et qu’elle m’a dit avoir aimé mon interprétation de cette oeuvre. Vous vous rendez compte : Denise Duval!
*Recommended Recordings:*
Voici le sabre de mon père from *La Grande Duchesse de Gérolstein*, with Livine Mertens, sop. (1930).
Le Figaro Interviews Felicity Lott
*Felicity Lott : “J’ai besoin qu’on m’aime”*
Deux reprises, des tournées, un DVD, le prix de la critique : La Belle Hélène par le tandem Minkowski/Pelly fut l’un des plus grands et des plus durables succès du Châtelet. De quoi donner envie de reconduire l’équipe gagnante dans un autre Offenbach : ce sera La Grande Duchesse de Gérolstein. Mais à une condition : que la vedette en soit à nouveau Dame Felicity Lott, la plus française des chanteuses britanniques, dont la classe et le naturel s’imposent de l’opérette viennoise à l’opéra-bouffe français, en passant par la nostalgie du Chevalier à la rose ou le désespoir de La Voix humaine. Nous avons rencontré cette femme délicieuse début septembre, juste avant que le spectacle n’inaugure la nouvelle salle de Grenoble, “rodage” précédant les représentations parisiennes.
Propos recueillis par Christian Merlin
[05 octobre 2004]
LE FIGARO. – En pleines répétitions de La Grande Duchesse, comment vous sentez-vous ?
Felicity LOTT. – Je me sens nulle, comme d’habitude. Mais ce n’est pas nouveau, j’avais déjà eu la meme impression au début du travail sur La Belle Hélène. J’ai tellement de texte à dire en français, je dois chanter et jouer en meme temps : on ne peut se permettre une seconde d’inattention. Je regarde François Le Roux, Yann Beuron, Sandrine Piau, je les trouve formidables et je me dis : je n’y arriverai jamais, qu’est-ce que je fais là ? Je dois etre pénible pour les autres, avec mes complexes. Ils ont certainement suffisamment de problèmes pour ne pas avoir en plus à subir les miens !
Vous semblez pourtant si à l’aise en scène ! Qu’est-ce qui vous permet de surmonter votre manque de confiance en vous ?
La confiance des autres. J’aimerais etre plus forte et me porter toute seule, mais c’est ainsi : j’ai besoin d’etre soutenue par les autres. La clé, c’est le travail d’équipe : je suis incapable de considérer mon métier comme une activité individualiste. C’est pourquoi, par exemple, j’aime beaucoup donner des récitals à deux, que ce soit avec ma complice Ann Murray ou avec Angelika Kirchschlager, dont j’aime tant le naturel et la spontanéité. Ici, pour un spectacle comme La Grande Duchesse, on est porté par l’équipe Minkowski/Pelly, qui est comme une famille.
Qu’est-ce qui vous lie à eux ?
D’abord le fait que nous adorons la musique d’Offenbach et voulons la servir le mieux possible. J’aime beaucoup Laurent Pelly parce qu’il me fait confiance et trouve toujours des solutions qui me sont adaptées. Et puis il n’hésite pas à aller contre la musique, ce qui crée une tension plus intéressante que si la mise en scène dit exactement la meme chose que la partition. Quant à Marc, il essaie de nettoyer les partitions, afin qu’on les entende comme si c’était la première fois. Il s’intéresse à la couleur des mots, et meme au non-dit, au “sous-texte”. Ses tempi sont certes souvent très rapides, et il n’est pas facile à suivre, mais cela aussi crée une tension positive : on doit toujours etre aux aguets, et les finales d’actes sont si excitants !
Je suppose que c’est le succès immense de La Belle Hélène qui vous a encouragée à aborder un nouveau role offenbachien ?
Si je me souviens bien, c’est à la fin de la première série de Belle Hélène, sachant que je ne pourrais assurer la première reprise, que Jean-Pierre Brossmann a évoqué l’idée d’un autre ouvrage. La Grande Duchesse est vraiment très différente : impossible de faire une copie du spectacle précédent. Elle est à la fois plus drole et moins drole. On y ridiculise la guerre et la corruption du pouvoir, ce qui me plaît bien. La fin est plus cruelle et mon personnage n’est pas très sympathique, ce qui me plaît moins : j’ai besoin qu’on m’aime !
Qu’est-ce qui vous attire dans Offenbach ?
C’est d’abord, au stade actuel de ma carrière, de faire quelque chose de tout à fait différent, après toutes ces Maréchales… Attention, j’adore Richard Strauss, d’ailleurs sans lui j’aurais été au chomage ! Mais cela devient plus dur, plus pénible de dire à Octavian d’aller chercher ailleurs. Et puis quand je me regarde dans le miroir à la fin du premier acte du Chevalier à la rose, ce que je vois n’est pas très beau… Quant aux Quatre Derniers Lieder, je les ai beaucoup chantés, mais quand on ne rajeunit pas, ces immenses phrases chantées dans la meme respiration ne vont pas de soi ! Sans parler de ces chefs qui vous noient sous un flot orchestral contre lequel on ne peut pas lutter.
Tous les chefs ?
Oh non ! Quand je chantais Le Chevalier à la rose avec Carlos Kleiber, que ce soit à New York, Vienne ou Tokyo, jamais je n’ai été couverte par l’orchestre ! Je lui ai dit que j’aimerais bien chanter Les Quatre Derniers Lieder avec lui, mais il m’a répondu qu’ils étaient de toute façon inchantables. Quel homme merveilleux ! On était réellement hypnotisé quand il était au pupitre. Et en meme temps si drole et si gentil. J’ai souvent écrit à des chefs pour leur dire que j’avais aimé travailler avec eux : il est le seul à avoir répondu. Je dois avoir une trentaine de lettres et de cartes postales de lui. Je n’en recevrai plus. J’aime aussi beaucoup Armin Jordan : il est tellement sensible et musicien, et drole lui aussi ! Il a préféré renoncer à une carrière plus prestigieuse car il préfère etre entouré de ceux qu’il aime et qui l’aiment : je suis pareille. Et puis j’adore Bernard Haitink, avec qui j’ai fait mes débuts à Glyndebourne il y a 27 ans. C’est la seule audition que j’aie jamais passée, et elle a marché. Je pense qu’il s’en est vite débarrassé car il détestait les auditions, tout comme moi. J’ai réussi le contre-ut d’Ann Trulove dans le Rake’s Progress de Stravinsky et ça a suffi. Pourtant, ce n’était pas “joli joli”. Ce n’est jamais joli joli, d’ailleurs.
Vous chantez certains roles, y compris dans Offenbach, dans lesquels on est habitué à entendre des voix plus lourdes. Est-ce un problème?
C’en est un si j’essaie de gonfler ma voix, de forcer le volume dans le médium. Quand j’ai travaillé la Maréchale, je suis allée consulter Georg Solti, qui était si gentil. Il m’a dit quelque chose de très simple : “N’essaie pas de faire comme les autres, chante-le avec ta voix. Tu envies les autres sopranes pour des qualités que tu n’as pas, mais dis-toi que beaucoup de sopranes aimeraient chanter comme tu le fais toi.” Cela donne confiance. Tout comme quand j’ai rencontré Denise Duval, la créatrice de La Voix humaine de Poulenc, et qu’elle m’a dit avoir aimé mon interprétation de cette oeuvre. Vous vous rendez compte : Denise Duval!
*Recommended Recordings:*
Voici le sabre de mon père from *La Grande Duchesse de Gérolstein*, with Livine Mertens, sop. (1930).